Valentine GOBY – « Un paquebot dans les arbres » – 2016

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Les environs d’Aincourt, une ville de province française à la fin des années 1950. Y vit la famille Blanc : le père, la mère et trois enfants, les deux filles de 16 et 9 ans et le fils, le petit dernier. Seulement le père, Paulot, gérant d’une épicerie bar-tabac comme il s’en faisait tellement à cette époque, boute-en-train et « ambianceur » de soirées festives à ses heures perdues avec son fidèle harmonica, tombe malade. Tuberculose. Il va devoir être admis au sanatorium d’Aincourt (le fameux paquebot du titre). Sa femme, Odile, est contaminée. Elle devra être à son tour internée dans le même centre. Mais ce roman, c’est surtout celui de Mathilde, l’une des filles, la plus jeune des deux. Elle grandit avec ses deux parents au sanatorium, doit s’occuper de son petit frère Jacques malgré sa volonté d’émancipation. C’est une descente aux enfers sans nom qui l’attend. Malvenue en tout lieu public car possiblement contagieuse, elle va devoir s’imposer, mais difficile avec ses parents dont elle ne doit pas trop s’éloigner, son frère qu’elle doit élever, d’autant qu’elle tourne en circuit fermé dans le cocon familial ou ce qu’il en reste, inapte à la vie extérieure, à la sociabilisation à long terme. Supporter le regard d’autrui est une douleur permanente. Ce roman est aussi celui de la France de la fin des années cinquante et du tout début des années soixante : la guerre d’Algérie et son racisme en métropole, les fondus de l’OAS et leurs plasticages intempestifs, mais aussi l’état sanitaire d’un pays pas encore tout à fait remis de la deuxième guerre mondiale, les traitements pas toujours appropriés ou trop chers, la Province moins bien logée que la Capitale malgré les premiers balbutiements de la Sécurité Sociale. Ce livre est également humaniste avec la présence de Jeanne, petite fille retardée, qui va pourtant accepter Mathilde, contrairement à pas mal de gosses de son âge. C’est une vraie radioscopie d’un pays rendu exsangue par une guerre mondiale passée et au cœur d‘une guerre nationale, c’est aussi une sorte d’écho à « La montagne magique » de Thomas MANN avec le quotidien dans les sanatoriums. L’écriture est détaillée, comme une caméra en perpétuelle recherche de captation du poil de nez, du bouton derrière l’oreille, du point noir dans les bourrelets, méticuleuse, alternant phrases longues et courtes, lenteur et action. Encore un bien bon Valentine GOBY, touchant et historiquement intéressant. Inspiré d’une histoire vraie, il est sorti en 2016 chez ACTES SUD.

 

(Warren Bismuth)