Lance WELLER – « Les marches de l’Amérique » – 2017

Lance WELLER

 

Milieu du XIXème siècle dans les Etats-Unis en construction : Tom et Pigsmeat sont deux amis du néant, des vagabonds crasseux qui ont du mal à se sédentariser. Ils vont faire la connaissance de Flora, une femme  noire, magnifique, forcée à se prostituer par son maître, une femme qui a un but assez délirant à accomplir, avec pour elle la liberté et l’émancipation au bout du tunnel. Au début du roman, tous trois parcourent les Etats-Unis à bord d’un chariot brinquebalant et poussiéreux, ils paraissent au terme d’un long voyage. Dans le chariot, un cercueil contenant un mort en saumure (tiens, cela ressemble à la fin du géantissime « Lonesome dove »), celui du fils du maître de Flora, bien salé et en bon état de conservation. Ce voyage va être jalonné de morts : ceux qui le sont déjà bien sûr, mais aussi les vivants que Tom et Pigsmeat ont laissé à l’état de cadavres après leurs passages remarqués. Dans un monde violent, sans foi ni loi, les deux amis ainsi que leurs ennemis sont sans pitié, comme rendus fous par la banalisation des actes d’horreurs. Dans ce chaos émanant d’une population migrant vers les territoires de l’ouest, c’est comme un rouleau compresseur qui se déplace sans aucun état d’âme, pillant, violant, torturant, tuant, incendiant. Ici la frontière est ténue entre les Etats-Unis et le Mexique, elle n’est pas clairement définie, pas encore, la Nation balbutie, le Mexique est très étendu, le Texas est indépendant, c’est l’annexion de ce dernier qui déclenche une guerre entre Mexique et « Amérique ». Les conquérants blancs vont décimer les indiens, tout rafler. Puis Tom et Pigsmeat vont croiser James KIRKER, personnage historique et détestable. Fresque historico-fictionnelle courant de 1818 à 1846, « les marches de l’Amérique » est l’un de ces futurs grands romans états-uniens de par son style, sa construction, son âpreté, sa violence froide au quotidien (exécutions, tortures, viols à répétition, condition des esclaves). Des personnages charpentés, profonds, puissants, désillusionnés. Une Amérique naissante, tumultueuse, un road-book sans temps mort, sans concession, des anti-héros qui baignent dans le sang, celui de la mort. Il y a de la sueur et de la poussière, ça pue le cadavre à chaque page et pourtant ce n’est pas étouffant, Lance WELLER parvenant à désamorcer la tension extrême par des passages sur la nature d’une grande beauté, ou bien ces petits moments de tendresse entre certains des protagonistes. Vaste fresque historique, ce roman-western d’une profonde noirceur est un coup de pied dans l’estomac. C’est sorti chez GALLMEISTER en 2017 dans la collection « Nature writing », ce n’est que le deuxième roman de WELLER après « Wilderness » en 2013, mais l’auteur maîtrise déjà parfaitement son sujet, en parvenant à rendre olfactive l’atmosphère de ce far west, avec lenteur et agressivité. C’est très fort dans l’ensemble, prenant et homogène, un excellent millésime de chez GALLMEISTER.

 

(Warren BISMUTH)